On comprend que les anges assistent aux funérailles des justes ; c'est le dernier hommage que la société consent à rendre non pas au mort proprement dit, mais à sa mémoire.
Les anges font plus : on les a vus pourvoir à l'inhumation des corps et leur rendre quelquefois ce dernier devoir. Puis ils s'établissent les gardiens de la mortelle dépouille confiée à la terre jusqu'au jour où le soleil du monde nouveau mettra en activité le germe de résurrection enfoui en elle.
Les saints dont les funérailles furent honorées par les anges sont très nombreux. Citons d'abord Saint Siméon Salus. Cherchant à couvrir sa dernière heure d'ignominie, Siméon s'était glissé, avant d'expirer, sous les sarments qui lui servaient de couche. Convaincus qu'il était mort dans l'égarement de l'esprit, ses frères le portèrent sans cérémonies dans le cimetière des étrangers. Mais Dieu envoya des chœurs d'anges dont les chants lui procurèrent la justification la plus éclatante.
Wenceslas fait jeter dans la Moldau le corps de Saint Jean Népomucène. Aussitôt des feux parurent sur la rivière, une infinité d'étoiles semblait sortir des eaux ; le corps descendait doucement le cours de la rivière escorté de flambeaux rangés dans un ordre admirable. Admirable sollicitude des esprits célestes !
Les anges ouvrent à notre dépouille mortelle le sein de la terre ; attention qui étonne de la part de ces pures intelligences, mais qu'on finit par trouver digne de leur sagesse en songeant que les restes mortels des élus ont en eux la semence de l'immortalité glorieuse et que Tobie dut sa sanctification à cette œuvre pourtant secondaire.
Saint Jude nous apprend que le corps de Moïse devint un sujet de contestation entre Saint Michel et Satan ; ce dernier voulait le produire aux Hébreux pour les porter à l'idolâtrie ; Saint Michel l'empêcha en donnant au grand législateur, sur le mont Nébo, une sépulture qui n'a pas été retrouvée. La sépulture de Moïse reporte notre souvenir à l'inhumation de Sainte Catherine que les anges, une fois la victime immolée, transportèrent sur ce mont Sinaï qui avait été témoin de ses veilles et de ses oraisons avant que la persécution éclatât.
Les anges recueillent dans les flots le corps de Saint Clément, et lui élèvent, en forme de chapelle, un mausolée de marbre blanc au milieu des vagues, qui, à la prière des disciples du Saint Pontife, se retirent pour donner un libre accès à la piété des fidèles.
Après avoir inhumé le corps des élus, les anges les conservent dans le sein de la terre pour la vie éternelle, "témoignant ainsi, dit Saint Jean Chrysostome, leur respect pour la divine Eucharistie, qui incorpore à la chair des fidèles un germe d'immortalité", et nous pouvons ajouter une raison plus générale : ce ne sont pas seulement les corps de ceux qui ont participé à la chair du Christ qui sont l'objet de cette attention, mais les corps de ceux qui, animés de son esprit jusqu'à la dernière heure, sont devenus parties intégrantes de son corps mystique.
Cette vérité qui nous étonne, tant nous avons une faible idée de l'ineffable délicatesse de l'amour de Dieu, a été consignée par l'Eglise dans sa liturgie pour les morts : lorsque le prêtre bénit une fosse, le Rituel romain met sur ses lèvres cette invocation touchante : "Seigneur, dont la miséricorde donne le repos aux âmes des fidèles, daignez bénir cette tombe et envoyer votre saint ange pour en être le gardien." Une réminiscence de Gilbert nous donne une nouvelle preuve de l'harmonie frappante que l'Auteur de la nature et de la grâce a établie entre les besoins de notre cœur et les révélations de la foi ; le poète disait dans son chant du cygne :
"Soyez béni, mon Dieu, vous qui daignez me rendre
L'innocence et son noble orgueil ;
Vous qui, pour protéger le repos de ma cendre,
Veillerez près de mon cercueil."
Cette protection plus touchante après la sépulture, qui est du reste le privilège des justes, se borne en général à interdire aux démons les usages de perversion auxquels ils feraient servir nos corps, et à leur laisser subir en paix l'action des lois qui les désorganisent. A l'égard de quelques saints, les effets de cette protection sont positifs et plus élevés : ils consistent à préserver le corps de la corruption, non pas toujours en s'opposant à la destruction finale, mais en l'atténuant dans ce que la période de transformation a de particulièrement odieux, la décomposition. C'est ce qui permet aux fidèles de vénérer encore aujourd'hui dans leur forme mortelle les corps de quelques saints.