La proportion de relations étant fondée sur la proportion de nature, c'est aux anges et non aux saints de la nature humaine qu'appartient proprement ce mystère de médiation ; les anges sont nos intermédiaires officiels.
Presqu'exclusive sous la Loi, la médiation angélique semble s'effacer, depuis l'Incarnation, soit que l'honneur des membres du Christ le demande, soit que notre confiance envers les saints soit plus vive.
Toutefois le rôle des anges est encore considérable : Dieu nous fait beaucoup de grâces par leur intermédiaire, et ils interviennent encore dans les grâces que Dieu nous accorde par les saints.
La médiation des anges, comme toutes les relations vraies, jouit d'une fécondité merveilleuse. Dieu s'y révèle à nous sous une idée plus haute.
Dans nos idées humaines, la grandeur d'une majesté est signifiée par la distance qui nous en sépare, et qui s'apprécie par le nombre des intermédiaires. Nous allons au Souverain par les ministres, aux ministres par les gouverneurs, etc. C'est ainsi que pour nous tenir dans une idée juste de la grandeur de Dieu, nous allons à Lui par une subordination de médiateurs ; nous avons accès auprès de Lui par son Fils, Jésus-Christ, et nous allons à Jésus par Marie et les anges, et à Marie elle-même par les anges. Jamais sans les nuages et les astres nous n'aurions une idée juste de la profondeur des cieux. Ainsi Dieu nous paraît plus grand et redoutable, en le contemplant au bout de cette vaste perspective de médiateurs.
Les anges non plus ne perdent rien à nous prêter leur médiation. C'est un office et non une servitude. Ils ne sauraient déroger en s'occupant de nous, pas plus que d'être dépouillés de leur gloire en descendant du ciel. C'est ce que démontrent à la fois Bossuet et S. Thomas. Les anges, pour nous porter secours, dit le premier, n'ont besoin ni de rompre leurs rangs, ni de suspendre leur sublime occupation. S. Thomas ajoute : Dieu fait par ses anges ce qu'il ferait lui-même ; le servir c'est régner : il les associe à son action providentielle par une flatteuse condescendance, pour les faire participer à la dignité de cause.
Mais le ministère de médiateurs offre aux anges des avantages positifs. Ils ont d'abord la satisfaction de compléter leur société. Les anges sont l'armée des intelligences fidèles, une armée sur le pied de paix et dont toutes les forces concourent à rehausser par la beauté des évolutions, par l'harmonie des chants, 1a gloire du Roi Eternel. Mais hélas ! l'orgueil a fait des vides dans ses rangs, l'immense concert a des parties moins pleines, conséquence de la désertion d'une multitude d'exécutants. C'est aux anges de recruter des voix au concert, de combler les vides, de remplir les cadres de l'armée céleste. C'est dans la nature humaine qu'ils ont la faculté de se pourvoir. On imagine facilement le zèle que doivent déployer, en cette œuvre de réparation, des intelligences souverainement sociables, souverainement éprises d'ordre.
Un autre motif plus puissant se joint à ce premier, la charité qui s'épanche en proportion de son intensité ; et la charité de l'ange pour l'homme emprunte une intensité extrême à un sentiment plus vif en quelque sorte, parce qu'il est personnel, la reconnaissance. Les anges jouissent d'un bien que nulle créature ne saurait mériter fût-ce par des siècles d'héroïsme, la participation de la nature divine. A qui doivent-ils ce bonheur que des milliards de leurs frères n'ont pas obtenu ? A la miséricorde divine. Imaginez le torrent de reconnaissance qui jaillit à cette idée de ces sublimes esprits ! Obligés, ils veulent reconnaître ; accablés de grâces, ils veulent récompenser l'auteur de leurs grâces ; objets de la miséricorde, ils veulent l'exercer à leur tour ; mais comment ? Dieu est la source de tout bien ! Le torrent de la reconnaissance s'élève impuissant, se brise en éclats de louanges sur les attributs divins comme sur d'infranchissables récifs et se reforme pour parcourir l'univers et se creuser un lit au milieu de créatures dont la misère appelle si bien la miséricorde. Ces créatures, c'est nous et les anges nous doivent la satisfaction d'un des plus impérieux besoins du cœur. De là, chose merveilleuse, une sorte d'obligation réciproque entre les humbles enfants de la terre et les fils du Très-Haut, et un nouveau fruit signalé déjà par S. François de Sales, l'union plus intime de l'Eglise universelle dont Notre Seigneur Jésus-Christ est le roi.